Conducteur Lecture-Racontée du 2/06/2009


Cette histoire n'est pas une réalisation des élèves de la classe de 6ème4. Je me suis servie d'un des récits écrits par un groupe d'élèves comme fil conducteur et j'ai inséré à l'intéreieur des bribes des sept autres histoires afin qu'elles apparaissent toutes. L'essentiel était pour moi qu'aucune d'entre elles ne soit en reste, que ce que j'allais retransmettre se tienne, ait une bonne logique, que ce soit compréhensible pour tout spectateur ne connaissant aucun des contes. Cela a constitué pas mal de temps : réécriture, malaxage, remise en ordre et en forme. J'ai essayé d'être respecteueuse de ce que les enfants avaient inventé, de garder une certaine fidélité tout en me permettant d'enrichir les univers d'éléments de merveilleux.
C'était du temps où :
* il y avait de la magie dans l'air
* les sorcières faisaient la loi
* les monstres mythiques existaient bel et bien
* les vieillards puisaient leur énergie des animaux...

Il était une fois un monde sur lequel veillait le Seigneur du Temps. Il avait à son service un oiseau, un Rossignol du nom d'Isalil, qui chantait merveilleusement bien. Cela conférait au Seigneur du Temps la force nécessaire pour protéger l'univers des possibles malheurs qui auraient pu le détruire. Un jour, le Dragon Naqmick, qui convoitait l'oiseau et espérait la destruction du monde, vola celui-ci. Le Seigneur du Temps dépêcha son fidèle serviteur, un « Monstre » aussi haut et puissant qu'un baobab, pour tenter de l'intercepter mais le Dragon le blessa et planta une de ses griffes dans sa queue. Le Monstre s'enfuit en pleurant, non seulement parce qu'il était triste et inquiet pour ce qui risquait de se produire, mais aussi parce qu'il avait terriblement mal. Il commença à errer et se perdit dans une forêt dans laquelle les hommes ne se risquaient plus depuis longtemps parce qu'on racontait qu'elle était ensorcelée et que les arbres savaient marcher. Ses cris effrayèrent une Jeune fille pour qui cet endroit constituait un refuge depuis que ses parents étaient morts, et qui se prénommait Lucie. Elle était sous la protection des êtres qui la peuplaient. Sa première frayeur passée, Lucie comprit que le « Monstre », s'il était impressionnant, notamment en raison de ses yeux qui avaient viré au rouge, n'était pas méchant mais qu'il souffrait. Elle ôta la griffe qu'il avait toujours dans la queue et écouta son histoire. Ensemble, ils se rendirent chez le Seigneur du Temps qui dépérissait déjà à vue d'oeil. En regardant dans la paume de sa main qui se parcheminait, ils virent que le monde était en train de sombrer dans un chaos indescriptible : la Terre perdait ses couleurs, des nuages sombres s'amoncelaient dans les cieux et voilaient les rayons du soleil... Il fallait faire vite et retrouver au plus tôt le Rossignol afin de le rapporter à son maître. Lucie décida d'aider le « Monstre » et ils prirent la route.
Ils marchèrent, marchèrent, marchèrent... Ils marchèrent longtemps, très longtemps...
Ils avançaient péniblement tant la fatigue du « Monstre » était grande. Il n'était pas encore remis de sa blessure et était obligé de s'arrêter régulièrement pour se reposer. Ignorant où pouvait se trouver le territoire de Naqmick, ils décidèrent de prendre une direction, au hasard. Plus ils avançaient, plus la forêt devenait dense. Maintenant, les arbres, vieux et serrés les uns contre les autres, entravaient leur progression. Ils avaient sans aucune doute atteint la forêt séculaire, la plus vieille forêt du monde. La nuit tombait et tout était sombre autour d'eux. Ils entendirent des voix et entrevirent une lueur. Avec mille précautions, ils s'approchèrent de la clairière d'où cela provenait. La Lune était ronde et pleine. Au-dessus de cette clairière brillait l'Etoile Polaire.
Ils virent d'abord un feu et autour de ce feu, quatre femmes. Elles entamaient une ronde maléfique en proférant des incantations. Des Sorcières!
La première était une créature effrayante Mi Femme-Mi Démon. Jambes de cheval, yeux de faucon, bouche de chat surmontée d'une verrue infâme, dent de vampire. Elle s'avança vers le feu et dit d'une voix grinçante : « Moi, Fauve, je condamne la petite princesse Stéphanie, fille du Grand Royaume d'Or, à être muette, parce que ses père et mère m'ont pas eu la politesse de m'inviter à son baptême. Elle ne retrouvera sa voix que lorsque seront réunies les Trois Allumettes Magiques dispersées aux quatre coins de la Terre! »
La seconde était une vieille femme ratatinée au visage parcouru de rides profondes. Ses cheveux étaient couverts de poussière. Elle semblait sortir de la terre. Elle saisit sa baguette qu'elle pointa vers les flammes et dit : « Que la Magie Noire soit dans ma baguette! Que Violette, la fille de la forêt, qui a refusé d'épouser Georges, mon fils chéri, devienne sur le champ une Souris! » Quelle fulgurance que cette magie-là : Lucie et le « Monstre » eurent tout juste le temps d'entrevoir une fille brune à la peau très pâle, métamorphosée en un petit animal blanc aux moustaches bleutées.
La troisième ressemblait à un arbre tortueux et calciné. Elle prit entre ses doigts crochus une boule de cristal. Elle la fit tourner lentement dans sa paume et dit : «  Abracadabra! Moi, Ursula, je t'ordonne, Arbre centenaire, d'enfermer Rose dans ton écorce. Elle sera enfin définitivement séparée de son Adoré, le Prince Florent! A charge pour lui, s'il veut la délivrer, d'aller quérir la poudre magique détenue par la Reine des Fées! En attendant, que le malheur soit sur ces deux-là! » Puis elle agita les mains. L'écorce d'un très vieil arbre s'ouvrit et une jeune fille, surgie de nulle part, et dont les vêtements étaient faits en pétales de rose, telle une somnambule, s'en approcha et pénétra à l'intérieur. L'arbre se referma aussitôt sur elle.
Une quatrième femme s'approcha. Elle avait un teint cireux et des traits lourds dénués de grâce. Elle portait une couronne d'or et de riches vêtements de Reine. Elle s'appuyait sur son balai comme s'il s'était agi d'un sceptre, et elle s'immobilisa près du foyer. Elle sortit des plis de sa robe une baguette qu'elle leva au-dessus de sa tête : « Abracadabri, Abracadabra! Moi, première épouse du Roi David, le Monarque à la couronne de diamants, j'ordonne que son fils unique, le Prince Vincent, quitte de lui-même son lit pour me suivre dans la maison cachée au coeur de la forêt. Qu'il entre sans résistance dans la cage que je lui ai réservée. Que plus jamais il ne revoie père et mère! » Apparut devant elle un jeune garçon endormi qui monta de lui-même sur le balai qui s'était mis à l'horizontale. Il décolla aussitôt décolla et disparut au-dessus de la forêt.
Les flammes vacillèrent et se régénérèrent puis un vent chargé de poussière se leva, le faite des arbres ploya, des gémissements se firent entendre, les troncs grincèrent. Lucie et le « Monstre » fermèrent les yeux et se blottirent l'un contre l'autre. Puis... La tourmente cessa aussi soudainement qu'elle avait commencé. La forêt redevint calme et silencieuse. Dans la clairière, il n'y avait plus personne. Les quatre femmes s'étaient volatilisées. Le feu s'éteignait doucement. Malgré leur émotion, ils décidèrent de dormir un peu avant de repartir. S'il y avait une direction à prendre, ce serait sans doute celle de l'Ouest, là où le Soleil se couche, là où commence le monde des ténèbres.
Dès les premières lueurs de l'aube, ils reprirent leur chemin.

Ils marchèrent, marchèrent, marchèrent... Ils marchèrent longtemps, très longtemps...

Ils finirent par sortir du bois et ils aperçurent un château, perché sur un promontoire. Il était magnifique, multicolore et des fanions bougeaient au gré d'une brise légère. Ils pensèrent qu'ils pourraient peut-être demander si quelqu'un savait où se trouvait le domaine du Dragon et ils gravirent la pente qui conduisait à l'édifice. Lorsqu'ils arrivèrent près du pont levis, qui était relevé, ils ne virent personne, pas même un garde. Ils étaient en train d'attendre que quelque chose se produise lorsqu'ils repérèrent un mouvement à la base de l'enceinte du château... Apparut un Rat, armé d'une chaussure. Il s'enfuit en dévalant la pente. Lucie et le « Monstre » étaient si stupéfaits qu'ils ne pouvaient plus bouger, regardant inévitablement en direction du trou. Bientôt, des pierres roulèrent, le trou s'agrandit, laissant apparaître une fille à la robe poussiéreuse et déchirée, aux ongles remplis de terre. Quand elle parvint à s'extraire de la brèche, elle s'approcha d'eux et, essoufflée, leur demanda s'ils avaient vu passer un Rat avec une chaussure. Ils lui indiquèrent la direction que l'animal avait prise. « Merci! » dit Laurie. Elle leur expliqua brièvement qu'elle était la fille du Roi aux Trois Yeux et qu'il ne fallait surtout pas dire à son père qu'elle s'était enfuie, sinon, il mettrait tout en oeuvre pour la rattraper. D'ailleurs, peut-être avait-il déjà activé son oeil rouge sans cils pour localiser sa position...
C'est alors que le ciel se chargea. Sur la plus haute tour du château, le Roi se tenait droit et semblait scruter l'horizon tandis que Laurie dévalait la pente en direction de la ville en contrebas. Le tonnerre gronda et la pluie se mit à tomber comme si elle annonçait un déluge. Le Monstre fit signe à Lucie de monter sur son dos et il partit à grandes foulées, laissant de larges empreintes boueuses derrière eux. Les éclairs fusaient de toutes parts. Ils eurent juste le temps de se mettre à l'abri d'une ruine et attendirent que le temps redevienne plus clément. Ils ne sentirent pas la fatigue les gagner et ils s'endormirent.
Quand ils s'éveillèrent, le temps avait filé et c'était de nouveau la nuit. Ils entendirent des pas résonner alentour. Qui cela pouvait-il bien être? Le sol tremblait et se craquelait. Au-dessus de leurs têtes, les étoiles s'éclairaient les unes après les autres. Dans la clarté de cette nuit, ils virent passer, non loin d'eux, un Etre gigantesque dont la tête dépassait la cîme des arbres, et qui écrasait tout sur son passage : les branches et les troncs se pliaient comme des fétus de paille, les champs se creusaient d'énormes ornières, les rivières se vidaient... La clarté de la Lune leur permit de voir qu'il avait la peau verte, des oreilles en tire-bouchons, des cheveux hirsutes couverts de boue et seulement quatre doigts à chaque main! C'était probablement un Ogre et il valait mieux éviter d'attirer son attention. Ils attendirent le lever du jour avant de sortir prudemment de leur cachette. Ils parcoururent de longues distances et rencontrèrent bien des gens désespérés : l'Ogre-Géant de la montagne était encore venu; il avait détruit leurs récoltes, une fois de plus! Lucie et le « Monstre » comprirent que c'était là une nouvelle conséquence du vol de l'oiseau Isalil par Naqmick. Il leur fallait très vite gagner le pays du Dragon, à condition bien entendu de le trouver!

Ils marchèrent, marchèrent, marchèrent... Ils marchèrent longtemps, très longtemps...

Le « Monstre » avait maintenant repris toutes ses forces et il avançait sans peine, Lucie perchée sur son dos puissant. A la grande surprise de la jeune fille, il changeait de couleur(s) comme un caméléon : il prenait les teintes des paysages qu'il traversait et ainsi pouvait passer relativement inaperçu. Ils avançaient toujours en direction de l'Ouest, si bien qu'ils finirent par atteindre la mer. Sur une plage, deux jeunes gens s'affairaient à la construction d'une petite embarcation. Wang et Chen, c'était leurs noms, s'apprêtaient à partir chasser le Poisson Légendaire. On racontait que sa peau était couverte d'écailles d'or pur, ce qui avait attiré la convoitise de beaucoup d'hommes. Nombre d'entre eux avaient voulu approcher la créature et la capturer, mais ils s'étaient heurtés à sa puissance et sa violence. Ceux qui étaient revenus des combats menés contre lui avaient perdu bras ou jambe(s). Wang et Chen voulaient seulement ramener la paix dans leur village.
Comme le jour déclinait, Lucie et le « Monstre » décidèrent de prendre suffisamment de repos pour parvenir à mener à bien leurs recherches le lendemain. Ils s'endormirent au son des travaux qu'achevaient les deux amis.
Ils furent réveillés par la chaleur du soleil. Grand fut leur étonnement lorsqu'ils se rendirent compte que la mer avait disparu ou que du moins elle semblait s'être retirée au-delà de l'horizon. La barque de Wang et Chen n'était évidemment plus là. Devant eux s'étalait une étendue de sable, un véritable désert sans végétation aucune. Peut-être était-ce là le pays de Naqmick. En effet, à y regarder de plus près, Lucie et le « Monstre » découvrirent des traces d'arbres calcinés, de roches brûlantes encore fumantes. Si le Dragon était passé par là, ce devait être récemment! D'ailleurs, ce qu'ils avaient pris pour des cratères n'était autre que ses empreintes géantes laissées dans le sol dévasté. Lucie grimpa sur le dos de son ami et ils s'éloignèrent de ce qui avait été, avant la nuit, une grève. 

Ils marchèrent, marchèrent, marchèrent... Ils marchèrent longtemps, très longtemps...

Il faisait de plus en plus chaud et leur progression devenait difficile. Lucie et le « Monstre » avaient du mal à respirer tant l'atmosphère était étouffante. Le sol vacillait et ils se disaient qu'ils ne tarderaient pas à être en proie aux mirages.
Et si la mer revenait...? Et s'ils se desséchaient...? Et si leur quête avait été vaine...?
Alors qu'ils commençaient à être envahis par à un terrible doute, ils eurent l'impression d'apercevoir, au loin, un arbre. Oui, il s'agissait en effet d'un seul arbre, isolé, verdoyant, au milieu de cet espace de désolation. Le Grand Tilleul, forcément, gardé jalousement par Naqmick! Son feuillage turquoise s'apercevait de loin et son tronc devait être brillant car il réfléchissait une clarté très vive qui, même à cette distance, les aveuglait. Il n'y avait aucun endroit où il leur soit possible de se cacher, de se protéger ... du Dragon cracheur de feu. Lucie n'aurait jamais imaginé qu'il soit si grand : sans même étirer le cou, il aurait aisément pu atteindre, voire dépasser, le sommet de la Tour Eiffel! Cependant, chose étrange, quand ils s'approchèrent, il restait à une distance respectable de l'arbre et dessinait de larges cercles autour du Tilleul, lentement, constamment aux aguets. Il leur faudrait donc trouver un moyen de divertir Naqmick pour parvenir à récupérer l'oiseau Isalil. Ils mirent sur pied leur plan : le « Monstre » s'approcherait du Dragon en activant sa capacité de changer de couleur comme un caméléon pour ne pas être vu. Il le malmènerait sans être repéré, veillerait à ne pas être blessé par les pointes acérées dont son dos était hérissé, pour ne pas perdre son pouvoir de camouflage. Il devait en effet éviter à tout prix de s'exposer au danger que représentait cette créature. Pendant qu'il détournerait son attention, Lucie grimperait à l'arbre et prendrait l'oiseau. Ainsi firent-ils. Tandis que Naqmick s'énervait car il ne voyait pas son agresseur, battant l'air de ses énormes pattes, Lucie, s'apercevant que le tronc du Tilleul était lisse et ne présentait aucune prise, s'élança et se propulsa dans son feuillage. Elle escalada les branches et atteignit enfin le Rossignol doré dont elle s'empara. Isalil était tellement content d'être libéré, lui auquel le Dragon avait jeté un sort pour qu'il ne puisse plus bouger, qu'il se mit à chanter. Naqmick s'immobilisa immédiatement, repéra Lucie, mais il en oublia sa prudence et s'approcha ... un peu trop du Grand Tilleul. L'arbre embaumait si fort que cela provoqua la chute et l'endormissement instantané du Dragon.
Lucie remonta sur le dos du « Monstre » avec dans les mains le Rossignol. Ils s'enfuirent.
Lucie se retourna : la mer revenait, à la vitesse lui semblait-il d'un cheval au galop... Au loin : un bateau filait droit sur eux! A bord, Wang et Chen. Les jeunes gens les hissèrent à bord et leur racontèrent comment ils étaient parvenus, grâce à leur habileté et leur sagesse, à se débarrasser définitivement du Poisson Légendaire. Enfin, ils accostèrent sur une plage. Lucie et le Monstre laissèrent là les deux amis qui allaient sûrement fêter leur retour au village. Ils prirent la direction du Soleil Levant, lieu de tous les possibles, lieu de tous les recommencements.

Ils marchèrent, marchèrent, marchèrent... Ils marchèrent longtemps, très longtemps...

Ils franchirent montagnes et plaines, traversèrent des rivières et contournèrent des collines. Ils s'engagèrent dans un défilé étroit entre deux parois et passèrent à côté d'un lac nauséabond aux teintes vertes et grises. Une petite pancarte indiquait qu'ici était née la légende de l'Ogre-Géant de la Montagne et qu'on pouvait encore entendre ses cris retentir dans toute la contrée, la nuit. Un sourire se dessina sur leur visage : voilà un pays qui allait enfin retrouver sa tranquillité! En effet, des chants et de la musique s'élevaient. En se rapprochant d'un palais, plus bas dans la vallée, ils rencontrèrent des femmes et des hommes qui riaient à gorge déployée et qui ovationnaient le Prince Norbert, dit L'Homme aux Grands Pieds, qui grâce à son courage et sa persévérance avait enfin libéré la contrée d'un habitant indésirable. Mais Lucie et le « Monstre » ne s'arrêtèrent pas parce qu'ils avaient encore beaucoup à faire. Ils avancèrent jusqu'à une autre vallée, très luxuriante, aux abords d'une ville. Le chemin était parsemé de mots qui s'étaient sans doute échappés de livres...

C'était du temps où : Ce chemin longeait un charmant petit jardin. Une femme et une jeune fille dont la robe changeait de couleur(s) arrosaient les parterres de fleurs et chantaient en mêlant leurs voix.
 
CHANSON : j'ai descendu dans mon jardin

Ils reconnurent Lorie, la princesse qui jadis cherchait sa chaussure. Elle ressemblait beaucoup à la femme. Lorie leur cria de loin : « Je vous présente ma mère! Mon Père, le Roi aux Trois Yeux, l'avait chassée du palais lorsque j'étais toute petite et je l'avais presque oubliée. C'est grâce au Rat que nous nous sommes retrouvées! » Le Rat ouvrit juste un oeil à ce moment-là puis retourna à sa paresse. Il avait accompli sa mission et profitait d'un repos bien mérité. Là encore, les choses rentraient dans l'ordre! Cela les encouragea à continuer sans s'octroyer une véritable halte. Ils se contentèrent de faire un petit signe de la main.

Ils marchèrent, marchèrent, marchèrent... Ils marchèrent longtemps, très longtemps...

Ils approchaient maintenant d'une forêt qu'il reconnurent : c'était celle où Lucie avait vécu si longtemps. Ils s'y engagèrent promptement : derrière eux, Naqmick, qui s'était réveillé, avait retrouvé leurs traces et n'allait pas tarder à les rejoindre... Ils percevaient déjà le vrombissement de ses pas... Mis au courant de ce qui se tramait, les arbres se soudèrent, formant une barrière solide et infranchissable. Les amis animaux de Lucie se préparèrent à une attaque de grande ampleur. Ils se liguèrent et agressèrent le Dragon dès qu'ils l'aperçurent, à coups de griffes, à coups de becs, à coups de crocs... Naqmick finit par s'écrouler, raide mort.
Le « Monstre » et Lucie étaient au bout de leurs peines. Pourvu qu'ils n'arrivent pas trop tard pour sauver le Seigneur du Temps! Il n'y avait plus une seconde à perdre. En pénétrant dans sa cabane, ils le trouvèrent couché, dans un état d'extrême faiblesse et sur le point de mourir. Lucie ouvrit ses mains et redonna la liberté à Isalil qui vint aussitôt se percher sur l'épaule du Vieillard. Le Rossignol doré se mit à chanter. Son chant était mélodieux, puissant. Au fur et à mesure qu'il s'élevait, le Seigneur du Temps recouvrait ses forces : ses joues flasques se gonflaient, ses muscles se tendaient, son regard s'éclairait. Il rajeunissait! Lorsque le Rossignol se tut, le Seigneur du Temps avait l'allure d'un homme dans la force de l'âge. Il remercia chaleureusement son fidèle serviteur, caressa le dos de l'oiseau et invita Lucie à prendre une tasse de thé. Des mains sorties des murs s'activèrent et bientôt les amis purent s'installer pour apprécier un breuvage revigorant.
Soudain, la cabane se mit à trembler, la porte s'ouvrit d'un seul coup sous l'effet d'un souffle de vent. Devant eux, une sorte de geyser surgit de terre. Atterrit à leurs pieds une jeune fille aux cheveux bouclés et aux yeux noisette qui défroissa sa robe : elle arrivait directement du Machu Pichu où elle avait trouvé la dernière des Allumettes Magiques. C'était donc Stéphanie, la petite Princesse condamnée par Fauve à être muette...! Elle s'installa à leurs côtés et leur conta ses aventures, maintenant qu'elle avait retrouvé sa voix : sa rencontre avec la petite fille de la forêt, son voyage sur le dos d'un dauphin, l'énigme posée par le Sphinx de Pierre et l'aide miraculeuse d'un singe qui avait enclenché le mécanisme caché d'une statuette incassable où se trouvait ce qu'elle cherchait.
Le temps passa jusqu'au jour où elle décida qu'il était temps pour elle de rentrer dans son pays et de retrouver ses parents qui la croyaient sans doute perdue à tout jamais. Le Seigneur du Temps expliqua à Lucie et à la Princesse que le temps des histoires n'était pas celui des hommes et que Stéphanie n'aurait aucun souci à reprendre le fil de son histoire. Cela les rassura.
Ils l'accompagnèrent donc un bout de chemin. Ils se trouvaient à présent, sans le savoir, sur le sentier qui menait à l'Arbre Centenaire. Le Prince Florent, qu'on surnommait autrefois Boule de Graisse en raison de son embonpoint, survolait la forêt sur le dos de Pégaze, le cheval ailé que la Doyenne des Fées lui avait offert. Quand il les vit, il piqua vers le sol. Il se présenta et leur proposa d'assister à la libération de Rose, son Amour de toujours. Il tenait précieusement pendu à son cou un petit sac rempli d'une poudre magique, donné par la Reine des Fées. Il l'avait obtenu après avoir traversé bien des épreuves et maintenant, il avait hâte de trouver la paix. Ils firent route ensemble. L'Arbre n'était plus très loin et on entendait des cris stridents qui s'échappaient de ses entrailles. Lorsqu'ils parvinrent près de lui, Florent traça avec la poudre une porte qui s'ouvrit aussitôt : du coeur de l'Arbre sortit une fille aux cheveux rose fuchsia.
Ils décidèrent d'aller fêter cet événement tous ensemble chez Rose, dans sa petite maison entourée d'un jardin, plus loin dans la forêt. Quelle ne fut pas leur surprise de passer à côté d'une maison-boule au moment précis où une Fée vêtue de rose et pas plus haute qu'une enfant tendait une fiole remplie d'une potion à une Petite Souris Blanche aux moustaches bleutées. Lucie retint son souffle, se remémorant les incantations des sorcières dans la clairière et de la malédiction lancée par l'une d'elles à Violette. La magie allait-elle opérer? Violette allait-elle retrouver son apparence première, redevenir une fille, être libérée du terrible sortilège proféré par la mère de l'affreux Georges, cette sorcière aux cheveux de poussière? Elle ferma les yeux et répéta à voix basse la composition du breuvage, comme pour faire un voeu : feuilles d'ortie, fleur du labyrinthe, cheveu de sorcière... Quand elle les ouvrit, la Souris Blanche avait disparue et Violette était saine et sauve, devant eux.
Quel soulagement, quel bonheur! Mais rapidement troublés par une question : qu'était-il advenu du fils du Roi à la Couronne de Diamants? La carte du monde allait-elle rester obscurcie par une histoire non résolue? Lucie voulait en avoir le coeur net et elle interrogea le Seigneur du Temps. Celui-ci ouvrit la main et elle put voir dans le creux de sa paume comme dans un livre.
Trois jeunes hommes marchaient aux côtés d'un enfant vêtu d'un pyjama. Sur les épaules de ce dernier, un singe aux ailes repliées s'était perché. Ils avançaient d'un pas décidé vers un palais où tous les drapeaux étaient en berne. Pas une parole, pas un rire ne troublait le silence étouffant... L'enfant prit les devants et il se présenta devant un garde. « Je suis le Prince Vincent! Et ce sont les amis qui m'ont délivré! Qu'on informe mon père, le Roi David, de mon retour et qu'on prépare immédiatement une fête! » Aussitôt, on sonna les réjouissances et les portes s'ouvrirent. Que de cris, que de pleurs lorsque père et fils se retrouvèrent! On annonça dans tout le royaume que les festivités dureraient sept jours et sept nuits.

« Peut-on y aller? Je veux connaître la fin de l'histoire!» demanda Lucie. « Rien de plus facile! » répondit le Seigneur du Temps. Il passa sa main sur les yeux de tous ceux qui étaient à ses côtés et quelques instants plus tard ils se trouvèrent dans la cour du château... comme par enchantement. Chacun des compagnons du Prince Vincent reçut en récompense une de ses soeurs. Oui, chacun, y comprit le Morille, autrement dit le Singe Volant, qui avait repris sa forme humaine dès qu'il avait vu l'élue de son coeur, délivré enfin de l'emprise de son sortilège. Voilà donc une raison supplémentaire pour s'amuser tout son sou! On chanta, on rit, on dansa jusqu'à n'en plus pouvoir. Le clou de la fête fut l'expédition sans tambour ni trompette et bien entendu sans remord de la Reine-Sorcière aux doigts crochus au milieu d'un désert où elle ne risquait pas de croiser âme qui vive. Elle n'aurait plus qu'à se servir de son sceptre comme d'un bâton. Sa magie ne trouverait plus personne sur qui s'exercer.
J'étais à la noce. J'ai bu du vin et de l'hydromel mais ils ont coulé sur mes lèvres et ne sont pas entrés dans ma bouche! J'ai chanté haut et fort pour crier le bonheur de dire et de mentir.
Bouche de conteur, bouche de menteur, bouche de sorcière s'emplit de rats. Il restait à présent trois sorcières, si vous avez bien suivi l'histoire : Ursula, la vieille qui ressemblait à un arbre tortueux et calciné, mourut en s'étouffant au moment-même où Rose et Florent se retrouvèrent : elle n'avait pas pris la peine de mâcher les rats qu'elle était en train d'ingurgiter...
La seconde, la mère de l'affreux Georges, tomba en poussière à l'instant où Violette redevint fille. Le vent se leva et dispersa ses cendres à tout jamais.
La dernière est encore vivante. Elle a pour nom Fauve et change d'apparence chaque fois qu'elle lance un sort. Méfiez-vous et n'oubliez pas, à l'avenir, de l'inviter, sinon, elle pourrait encore se venger... et l'histoire recommencerait...


C'était du temps où :
* il y avait de la magie dans l'air
* les sorcières faisaient la loi
* les monstres mythiques existaient bel et bien
* les vieillards puisaient leur énergie des animaux...