Elle, c'est Fleur. Elle a six ans et elle va dans la jolie école qui est sur le rond-point. Vous savez, celle qui est à jarrie le haut. C'est un peu la campagne, mais c'est loin de la ville (je veux dire: de Grenoble). Tous les matins, Fleur prend sa douche bien chaude et coiffe ses cheveux noirs. Elle aime beaucoup faire des couettes et mettre des petits bidules brillants dedans.

Les habits sont posés sur la chaise à côté du lit, tout propres, bien repassés: un jean pour lui et le pull qu il a choisi avec maman chez Marese, les chaussettes Lucky Luck et les baskets. Pour elle, le tee-shirt Nolwen et le pull Barbie, et le pantalon que maman ne voulait pas acheter parce qu il était trop cher mais qu elle a acheté quand même parce qu' elle n'a pas pu faire autrement ... Fleur est une championne de la bouderie. Quand on la contrarie, elle boude (pas belle) ou bien elle pleure. Elle arrive à faire couler de grosses larmes quand elle veut!

Leurs parents sont extra super géniaux: toujours fière allure (on dit BCBG), sportifs (ils font du footing, du tennis)! Mais c'est peut-être un petit peu pour faire bien...? Ils sont joyeux mais débordés: ils ont trop à faire et donc ... jamais le temps de prendre du temps...

« C' est l'heure, crie papa dans l' entrée, aujourd'hui c' est moi qui vous amène à l école!

-Pas envie, hurle Edouard en tapant du pied. Et puis d' abord je n'ai pas fini mon déjeuner...

-Pas envie, grommelle Fleur, en tournant le dos.

-Arrêtez les enfants, je suis pressé. Prenez vos cartables , on part !

-Non, j' irai pas, j ai mal à la tête !

-Moi aussi et même à la gorge, j'ai mal.

-Ca suffit, si vous continuez, j' appelle la sorcière Mandibule!

-Elle n' existe pas !

-C' est vrai, ça, elle n' existe pas, et puis d' abord tu racontes n' importe quoi.

-Vous devriez avoir honte. Pensez à tous les petits enfants du monde qui ne peuvent pas aller à l' école.

-Ben, ils ont bien de la chance!" crie Fleur.

Fleur et Edouard sont très fiers d' eux . Leur papa ne sait plus quoi faire et maman qui donne le biberon au bébé est très embêtée.

Ils ont gagné, aujourd hui, ils n' iront pas à l école. Papa est trop pressé pour discuter et maman soigne le bébé (celui-là, il est juste là pour empêcher le temps de tourner en rond vu qu'il prend tout le temps...). Au moins pour ce matin , tranquilles!

On va sur l'ordi, maman!

Ils allument leur ordinateur sur leur jeu préféré.
L' écran s'allume et génial ... Rayman!

Mais que se passe-t-il ? Ce n' est pas Rayman, c' est la sorcière Mandibule!

Les enfants ne peuvent pas s'empêcher de chanter...:

Mandibule, Mandibule, Mandibulle bulle bulle
Bulldozer, bulldozer, bulldozer zer zer
T'as roté, t'as roté, t'as roté té té
T'es trop moche, t'es trop moche, t'es trop moche, moche moche

Bizarre, elle sourit avec toute sa bouche sans dents. Elle est grosse, la fesse molle. Sa démarche est pénible. Elle a le teint sanguin, le menton branlant...

Elle s'adresse à eux de sa voix rocailleuse:

" Chers petits , comme vous êtes sages !!! C'est bien ça...

Fleur et Edouard restent bouche bée devant l'écran.

-Tu crois que c' est à nous qu'elle parle ?

-Même pas peur! dit Edouard d' une toute petite voix.

La sorcière leur envoie un baiser qui fait passer un air froid sur le front des deux garnements.

-Alors, c' est vrai ? Vous ne voulez plus aller à l'école ?

-Non, on en a marre!

-C' est bien ça, dit Mandibule en secouant son nez crochu. Eh bien, si vous voulez, je vous emmène au pays sans école.

-Ca n'existe pas, et puis on ne peut pas partir. Maman ne serait pas contente.

-Mais si , ça existe! Je connais un pays sur notre terre où les enfants n' apprennent ni à lire ni à compter, où ils n' ont pas de leçons à apprendre...

-Ils ont de la veine, dit Fleur, moi j'ai toujours des devoirs...

Et bien si vous voulez, je vous emmène là-bas , ne craignez rien, votre maman n' en saura rien.

Donnez moi la main!"

Les bras de la sorcière Mandibule sortent de l' écran et attrapent les mains des deux enfants: pffft ! ! ! Fleur et Edouard sont rentrés dans l'ordinateur...

Le temps coule très vite. Fleur et Edouard traversent les cités différentes si vite! Soudain une clarté grise éblouit les enfants. Ils sautent sur la terre qui est grise, pleine de pierres grandes et petites, rondes et carrées, ovales ou rectangulaires. Ils sont très étonnés de voir ça. Quelle terre! Elle est si bizarre: pas d’arbre, pas de fleur, pas de terre vaporeuse, molle, noire. Fleur et Edouard ne comprennent rien et ne savent pas quoi faire. Que manger ? Il n’y a aucun arbre fruitier, aucun champignon, aucune baie !

La sorcière Mandibule apparaît en silence. Elle sort d’un trou large. Au fond on entend l’eau hurlante. Elle parle mais on ne peut pas comprendre sa voix. Dès qu'elle est sortie du trou, la sorcière commence à courir très vite. Elle est contente de voir ces enfants fatigués et étonnés.

Ils courent après la sorcière pour lui demander des renseignements, pour lui demander où ils sont et comment vont-ils faire pour rentrer, mais la sorcière ne les écoute pas.

Ils ne parcourent le pays pas très longtemps. Ils sont vite inquiets et veulent retourner chez eux. Le pays est grand, mais monotone. Ils ont l’impression de ne pas pouvoir trouver la sortie. C’est un pays bizarroïde: la nuit ne tombe pas, le jour ne se lève pas. La température est instable: très basse, puis moyenne, puis très haute, pas régulière….

Plus loin, le long de la route, on voit des gens assez tristes. Ils s’ennuient, regardent les pierres, les empilent tant bien que mal et construisent des maisons laides. Ils ne savent pas comment les construire et les orner: ils n'ont jamais appris. Des petits enfants parlent, mais il est difficile de comprendre ce qu’ils disent. Les vêtements des gens de ce pays sont simples. Les enfants n’ont même pas de ballons. Ils jouent avec les pierres.

Fleur et Edouard ne sont pas satisfaitsde leur voyage. Ils courent après la sorcière en voyant les ruines des écoles, des maisons. Ils découvrent des livres déchirés, sales. Personne ne lit. Personne ne récite des poésies. Quand ils demandent où sont les professeurs, on leur dit que ces derniers sont toujours en vacances dans les pays voisins et qu'ils ne veulent pas en revenir. Où sont les stades, les salles de sport? demandent Fleur et Edouard.

Soudain Fleur et Edouard entendent la voix rocailleuse de la sorcière. Celle-ci se tient juste derrière eux. Elle leur sourit avec sa bouche effrayante. Elle s’adresse aux enfants: Êtes-vous heureux ? Vous êtes les meilleurs paresseux du monde! Personne ne va vous apprendre quoi que ce soit. Vous êtes libres. Ici, dans le pays gris, nous n’avons pas d’écoles, de stylos, de crayons de couleurs... On n’en a pas besoin car les enfants ont oublié ça. C’est le gris qui règne ici. Le ciel est gris, la terre est grise, les visages sont gris, même les yeux. Et en restant ici, vous allez devenir gris aussi! Et elle éclate d'un rire sinistre...

Quelle horreur ! Pensent Fleur et Edouard. Fleur regarde Edouard et s’aperçoit que son visage est mi-gris, mi-rose. A son tour, Edouard regarde Fleur, ses yeux sont terreux.

Ils ne partiront du pays que après avoir changé quelque chose : rendre les couleurs à ce pays !

Les enfants qui vivent dans ce pays sont des enfants qui ont tous disparu par l’ordinateur. Les adultes sont les parents qui les ont cherchés et qui ont voulu les sauver. C’est pourquoi Fleur et Edouard ne veulent pas que les parents s’en mêlent….

C’est une fée qui va les aider.
C’est la fée de la nature.
Elle est attirée par les couleurs encore existantes dans ce pays, c'est-à-dire Fleur et Edouard qui ne sont pas encore tout à fait gris.
Elle leur explique que les couleurs sont le fruit d’une herbe qu’il faut planter. C’est une racine qui pousse très vite, elle est gardée par un ogre. Cet ogre teste ceux qui veulent l’herbe par leur intelligence. Pas d’intelligence, pas d’herbe…
Les couleurs disparues sont aussi enfermées dans la maison de la sorcière. Il suffit que la racine atteigne la maison pour libérer toutes les couleurs emprisonnées.
Les enfants expliquent à la fée qu’ils ne savent pas grand-chose, parce qu’ils n’aiment pas aller à l’école et qu’ils ne pourront jamais répondre à l’ogre…

La fée ne pourra pas les accompagner et donc leur souffler les bonnes réponses. La seule chose qu'elle puisse faire, c'est de les leur faire apprendre, tant qu'ils ont encore le souvenir (de plus en plus lointain) de leur école et de ce qu'ils ont appris. En échange, ils lui promettent d’aller à l’école tous les jours sans râler.

L’ogre pose les questions : Récite les nombres de 0 à 10 à Edouard….
Trouve la moitié de 12 à Fleur….
Récite les jours de la semaine à Edouard.
Epelle le mot BLANC à Fleur.

A ce moment-là, la racine grandit. Elle se dirige vers la maison de la sorcière. La sorcière n’est pas là, elle est partie sur un autre ordinateur pour emprisonner d’autres enfants. Les couleurs arrivent par l’herbe et progressivement transforment le pays tout gris qui n'a plus rien de gris.

Quand la sorcière revient avec de nouveaux enfants, elle est aveuglée par une sorte d’arc en ciel: toutes les couleurs sont en train de se réinstaller. Tous les habitants ont disparu.
Devant ce cauchemar, elle se ratatine et fond…

Alors, la fée conduit les habitants sous l'arc en ciel. Dès qu'ils l'ont franchi, ils retrouvent leur famille ou leur maison.

" Mais qu'est-ce que vous faites? demande la maman de Fleur et Edouard aux enfants qui se précipitent hors de leur chambre.

- On est en retard: on va à l'école!

- Que s'est-il passé? se demande la mère. J'aurais juré qu'il y a quelques instants à peine ils étaient bien malades... "

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