Cilte part à l'aventure

 

Il était une fois, il y a très longtemps, des hommes qui avaient tous la même couleur, noire, à cause du soleil qui séchait tout : l’herbe, les
arbres, les fleurs et les forêts. La terre était toute craquelée. Il n’y avait plus d’eau dans les rivières ni dans les lacs et les puits
étaient à moitié vides. Les hommes étaient assoiffés. Ils transpiraient quand ils sortaient de leur maison. Le soleil était tellement fort qu’il
brûlait et faisait craquer leur peau. Ce pays s’appelait Macaba et leur village avait pour nom Yakouba.
Ces hommes avaient tous, non seulement la même peau mais aussi, les mêmes yeux, les mêmes cheveux. Ils portaient les mêmes habits, parlaient
la même langue et faisait la même musique. Ils avaient tous les mêmes jeux, ils dessinaient tous de la même manière. Ce n'était pas drôle d'être
tous pareils. Les enfants portaient tous le même nom : Cilte pour les garçons, Cili pour les filles. Si bien que quand les parents appelaient
leur enfant, c'étaient tous les enfants du village qui arrivaient. Ils se ressemblaient tant que les parents en venaient à confondre leurs
enfants avec ceux des autres. Ces hommes auraient aimé savoir comment on vivait dans les autres pays, si tant est qu'il y en ait. Mais ils avaient peur de quitter Yakouba, car leurs ancêtres, les hommes les plus vieux et les plus sages du village, leur racontaient qu’ils pouvaient rencontrer des dragons en chemin, mais aussi des vampires, des loups garous et des monstres. Ainsi, malgré le caractère inhospitalier de Macaba, personne n'osait-il s'aventurer ailleurs. D'ailleurs, qui aurait pu le faire? En effet, ce pays était entouré de montagnes, de collines, de précipices et au-delà encore s'étendait un désert de cailloux où rugissaient de terribles volcans. On racontait que ceux qui avaient essayé de partir de là avaient été engloutis dans des tremblements de terre et que ceux qui en avaient réchappé n'avaient pas réussi à vaincre les lutins cracheurs de glace, les tornades, les pluies de cailloux et de météorites... On disait aussi que certains d'entre eux avaient servi de repas aux plantes carnivores et que les oiseaux de feu piaillant de toutes parts avaient fondu sur eux pour leur picorer les yeux... Que d'histoires abominables on racontait là!

 

Or, un jeune garçon rêvait depuis longtemps de tenter l'aventure. Il avait d'abord été un enfant qui avait respecté la parole des ancêtres, qui avait tremblé comme les autres à l'écoute des récits venus du fond des temps et qui avait obéi aux interdictions de ses parents. Mais aujourd'hui... il était un adolescent et il avait pris sa décision: il partirait, et sans attendre; il trouverait ces pays dont beaucoup imaginaient l'existence, il trouverait un autre nom que le sien, différent de celui de tous les gens de son pays desséché. Personne n'arriverait à le retenir!

 

Cilte avait une amie, Cili, et ce qui les avaient réunis, c' était leur voix: elles n'avaient rien à voir avec celles des autres personnes du pays et elles s'harmonisaient parfaitement. Ainsi se reconnaissaient-ils par ce moyen-là, en chantant.

Sur l'air de "A la volette"
Mon amie Cili chante comme un pinson
Et mon ami Cilte répond en canon
L'amitié, sur cette terre
Est un pont, une lumière
Un précieux trésor

Cilte parla d'abord de son projet à ses proches:
* quand ses parents entendirent ce qu'il disait, ils lui rappelèrent que partir était interdit et qu'ils n'accepteraient pas qu'il risque sa vie.
* quand il en parla à son grand-père, ce dernier, sentant qu'il était déterminé et que rien ne le ferait flancher, lui offrit un diamant, celui qu'il destinait initialement au père de Cilte et qu'on se transmettait depuis toujours de génération en génération. Il lui dit que ce diamant était magique et qu'il l'aiderait dans sa quête à condition qu'il le confie à quelqu'un qui lui était cher.
* il en parla à son amie Cilte, celle avec qui il partageait ses jeux depuis toujours. Elle tenta en vain de le dissuader de s'en aller. Elle lui proposa même de l'accompagner en disant qu'à deux ils seraient plus forts et qu'elle ne l'abandonnerait pas à son sort, mais rien n'y fit. Le jeune homme partirait, quoi qu'il advienne, et seul parce qu'il ne voulait pas la mettre en péril. Il ne croyait plus à toutes ces légendes, il n'avait plus peur et voulait découvrir le monde par
lui-même! Il reviendrait, ça, il le jurait. Enfin, il lui dit qu'il lui donnait un objet qui lui permettrait de savoir où il serait et de connaître à tout moment de sort qui serait le sien. Il lui tendit le diamant en forme de pyramide. Celui-ci était bleu et froid et il le resterait tant qu'il ne lui arriverait pas malheur.
Dans le cas contraire, il deviendrait rouge, brûlant et informe. Elle pourrait l'interroger en prononçant la formule suivante:
Diamant, diamant, fais-moi voir ton image
Diamant, diamant, montre-moi mon ami

Puis il mit en dernier lieu les villageois au courant et tous, unanimement, essayèrent de le décourager. N'y parvenant pas, ils rentrèrent dans leurs maisons et fermèrent leurs portes.

Le jeune homme décida qu'il s'en irait la nuit venue, quand tout le village dormirait. La nuit même, Cilte partit. Il n’avait pas peur mais il regarda
encore une fois Yacouba.

Cilte vivait dans ce pays sans connaître tout autre chose
Et puis un jour il partit laissant ses ancêtres derrière lui
Cilte vivait dans ce pays sans connaître tout autre chose
Et puis un jour il partit laissant ses ancêtres derrière lui

Il franchit des cols, des montagnes et des vallées
Et toujours il continuait, il continuait sans se retourner
Il franchit des cols, des montagnes et des vallées
Et toujours il continuait, il continuait sans se retourner

Il avançait dans la nuit mais plusieurs fois, il se heurta à des arbres secs, des grosses pierres. La nuit était si sombre qu'il ne voyait absolument rien. Plus il avançait, plus il avait chaud sur le chemin qui s'avérait bosselé, escarpé avec de puissantes montées et des pentes très raides. Il commençait à transpirer abondamment. Quand le jour se leva, il vit devant lui une montagne toute rouge. C'était un volcan et celui-ci était en éruption. La lave coulait si vite, à la vitesse d'un cheval au galop, que bientôt elle allait atteindre Cilte.

Cili s'était endormie cette nuit-là et n'avait rien ressenti. Au moment où Cilte se trouvait en mauvaise posture, dans le village de Yacouba, tout le monde s’était réveillé. L’amie de Cilte prit le diamant et le serra sur son coeur pour savoir ce qu'il advenait de lui. D ’un seul coup, elle sentit de la chaleur et le diamant commença à se déformer. Elle était très inquiète et dit la formule:

Diamant, diamant, fais-moi voir ton image
Diamant, diamant, montre-moi mon ami

Elle vit Cilte qui allait être englouti par la lave. Comprenant ce qui arrivait et ignorant comment lui venir en aide, elle se mit à pleurer. Une larme tomba sur le diamant. A cet instant précis, le diamant éclata en trois morceaux. A cet instant précis, apparut autour de Cilte une bulle. La lave s'écarta et continua son chemin. Cilte était sauvé mais on pouvait voir sur le côté de son pied droit une longue traînée brune, signe de la brûlure de la lave avant que n'apparaisse la bulle protectrice. Cili ramassa les morceaux mais elle n'en trouva plus que deux. Le diamant se reconstitua de lui-même mais il était plus petit. Il redevint bleu et froid.

Cilte arriva dans un monde inconnu dont il apprendrait plus tard qu'il se nommait Mendosa. La végétation qui se trouvait autour de lui était luxuriante: on pouvait voir des bananiers, des palmiers, des dattiers, des cocotiers et des figuiers qui poussaient en grande quantité. Il y avait également des plantes carnivores, des fleurs comme des dahlias, des lilas et des roses qui libéraient un parfum doux et agréable. Le climat tiède favorisait leur développement. Dans ce pays, Cili découvrirait plus tard le grand fleuve qui permettait à chacun de vivre commençait à être envahi par la mer: l'eau salée se
mélangeait petit à petit à l'eau douce et il y aurait bientôt un problème d'eau potable... On pouvait sans conteste dire que malgré tout, l’eau s'y trouvait en abondance, contrairement à Yakouba. Comme l'eau était souvent stagnante, cela avait pour conséquence d'attirer des moustiques énormes, grands comme la
main. Les habitants détestaient ces bestioles qui leur suçaient le sang, d’autant qu’ils ne savaient comment s’en protéger. Les habitants avaient érigé des maisons sans fenêtres pour se prémunir de la chaleur, ilsmangeaient des lézards et des gratins de papayes. Quand ils faisaient la fête, ils se déguisaient en perroquets, en toucans, en mygales... Et justement ce jour-là, c’était jour de fête. Déguisés en oiseau, les hommes étaient partis à la chasse, cachés dans la forêt, quand ils virent arriver Cilte.

C’était un étranger, il fallait s’en emparer. Assitôt dit, aussitôt fait. Cilte fut capturé et ligoté sur les plantes d’Oiseaux de Paradis qui ont la particularité
d’attirer les moustiques. Et les chasseurs se cachèrent pour observer leur proie. Quelle ne fut pas leur stupéfaction en constatant que les moustiques ne le dévoraient pas. Incrédules, ils finirent par le détacher croyant avoir à faire à un homme aux pouvoirs magiques. Ils décidèrent de le questionner. Cilte leur expliqua, avec force gestes, qu’il savait fabriquer une crème qui éloignait les moustiques et qu’il pouvait leur en donner la recette. Impressionnés par son désir de faire partager son savoir, et mus par le souci de se protéger des insectes, les habitants l'accueillirent et lui demandèrent ce qu’il voulait en retour. Cilte leur décrivit son pays desséché, sans plante et leur dit il voudrait bien rapporter des graines, des bulbes, des petits arbres à Yacouba. Les habitants acceptèrent avec joie de lui offrir ce qu’il souhaitait. Ils lui donnèrent pour nom "Colibri" parce que c’était le nom des Oiseaux de Paradis qui font un festin de moustiques. Ils lui proposèrent également de rester à Mendosa. Cilte accepta mais quelque temps plus tard, sachant que son périple ne s'arrêtait pas là, Cilte-Colibri décida qu'il reprendrait la route.

Cette nuit-là, Cilte-Colibri reprit le chemin de son voyage.

Il franchit des cols, des montagnes et des vallées
Et toujours il continuait, il continuait sans se retourner
Il franchit des cols, des montagnes et des vallées
Et toujours il continuait, il continuait sans se retourner

Il faisait noir comme dans un four et il ne voyait absolument rien. Il ne savait pas au juste où se trouvait le chemin et il craignait de tomber dans un de ces
profonds précipices dont il avait tant entendu parler. Depuis un moment maintenant, il sentait que des choses le frôlaient mais il aurait été bien incapable de dire ce que ça pouvait être. L'air semblait se déplacer autour de lui et parfois, la nuit se tachait de points blancs. De petits cris, d'abord dispersés, se faisaient plus proches et plus présents.

Quand le jour se leva, Cilte-Colibri ne vit rien d'abord, si ce n'est la clarté d'une journée qui s'annonçait... Mais, progressivement, le ciel s'obscurcit
au-dessus de sa tête et en regardant, il vit que ce n'était pas un nuage mais un oiseau gigantesque aux ailes déployées, blanc et noir. Il planait lentement au-dessus de lui. Soudain, l'oiseau se fendilla de toutes parts et apparurent alors une multitude d'oiseaux au bec crochu, aux griffes acérées qui foncèrent sur lui en paillant de façon assourdissante. Cilte-Colibri aperçut un arbre mort derrière lequel il pensa aller se cacher. Il porta ses mains à son visage pour éviter d'être blessé.

Encore une fois, Cili s'était endormie et elle ne s'éveilla qu'au moment où elle sentit la chaleur du diamant qu'elle tenait toujours contre son
coeur. Elle dit aussitôt:

Diamant, diamant, fais-moi voir ton image
Diamant, diamant, montre-moi mon ami

Quand elle vit la scène des oiseaux, elle ressentit une immense frayeur et comme la première fois, elle pleura. Une larme tomba sur le diamant. A cet instant précis, le diamant éclata en deux morceaux. Cili vit les oiseaux se rassembler et fondre sur l'arbre derrière lequel tentait de se cacher Cilte-Colibri. Elle ferma les yeux lorsque ceux-ci prirent leur envol. Quand elle les rouvrit, elle vit un drôle d'arbre: son tronc était criblé d'oiseaux. Leurs becs étaient enfoncés dans son tronc et ils étaient tous morts. Quand à Cilte-Colibri, elle ne le vit tout d'abord pas puis, progressivement, il apparut: les jambes, les bras, le corps... jusqu'à la tête. Elle comprit que le diamant l'avait protégé en le rendant un moment invisible. Seulement, Cilte-Colibri portait maintenant juste au-dessus de l'oeil droit une blessure, une empreinte de pattes reçue d'un oiseau qui l'avait frôlé.

Cili ramassa le diamant ou du moins ce qu'il en restait: c'était maintenant un tout petit morceau mais bleu et froid.

Cilte-Colibri parvint à ce moment-là dans un pays sombre et ténébreux, inhospitalier : Mounto. Le brouillard y était très dense et de petites gouttes de
pluie tombaient en permanence sur la terre rase et verte. Le sol était gorgé d’eau comme une éponge. A chaque pas, ses pieds pressaient le sol qui rendait l’eau. Préoccupé par ses chaussures trempées, il ne vit pas tout de suite des yeux luisants, fluorescents, des yeux de chat qui trouaient la nuit. Lorqu’il les aperçut, son sang se glaça dans ses veines. Fuir était la seule solution sauf que ses jambes refusaient de lui obéir. Il fut bientôt encerclé par ces yeux qui appartenaient à des hommes qui l’observaient.
Ils ne semblaient pas agressifs. Cilte-Colibri fut un peu rassuré quand le plus âgé prit la parole pour lui souhaiter la bienvenue.Cilte-Colibri leur expliqua, comme il le put, son périple, et leur parla de son pays asséché. Les habitants de Mounto se concertèrent du regard. L’un d’eux lui expliqua qu’il savait trouver de l’eau avec un baguette de coudrier et que s’il voulait il lui en apprendrait le maniement. Cilte-Colibri accepta, reconnaissant. Il chercha ce qu’il pourrait leur offrir en échange. Ne voyant aucune lumière « artificielle », il sortit de son sac des pierres qu’il frotta l’une contre l’autre et des étincelles en jaillirent. Mes habitants de Mounto, impressionnés, lui demandèrent de recommencer. C’est ainsi que Cilte-Colibri repartit de Mounto sachant trouver de l’eau, riche d’un nouveau nom "Fuego" et qu’il leur laissa toutes ses pierres à feu.

Cilte-Colibri-Fuego savait que son périple ne s'arrêtait pas là et, bien que les habitants de ce pays lui aient proposé de rester parmi eux, il décida qu'il reprendrait la route.

Il franchit des cols, des montagnes et des vallées
Et toujours il continuait, il continuait sans se retourner
Il franchit des cols, des montagnes et des vallées
Et toujours il continuait, il continuait sans se retourner

Cette nuit-là, encore une fois, Cilte-Colibri-Fuego reprit le chemin du voyage. Toujours la nuit profonde et noire autour de lui: rien qui puisse guider ses pas et lui indiquer le meilleur chemin à suivre!... Il marcha longtemps, tomba maintes fois, se releva, tomba à nouveau, glissa de plus en plus... Il avait de plus en plus de mal à progresser: le vent soufflait fort, l'air était glacé... Il parvint à ce qui devait être, selon lui, le haut d'une colline puis soudain, ce fut la glissade, une glissade sans fin le long de pentes raides et lisses. Lorsque le jour se leva, Cilte-Colibri-Fuego eut juste le temps de voir qu'au bout de cette piste de neige et de glace il y avait un trou et qu'il allait s'y engouffrer...

Encore une fois, Cili s'était endormie et elle ne s'éveilla qu'au moment où elle sentit la chaleur du diamant qu'elle tenait toujours contre son coeur. Elle dit aussitôt:

Diamant, diamant, fais-moi voir ton image
Diamant, diamant, montre-moi mon ami

Quand Cilte-Colibri-Fuego reprit ses esprits, il était dans une caverne glacée, entouré de lutins qui entamaient déjà une étrange sarabande. A chaque
tour de ronde qu'ils faisaient, ils soufflaient sur lui et notre ami commençait à voir son corps se pétrifier. Il n'était plus capable de bouger! Cili vit dans le minuscule morceau de diamant qui lui restait Cilte-Colibri-Fuego se transformer progressivement et inéluctablement en statue de neige et elle-même avait l'impression d'être engourdie. Ce fut la larme qui coula sur son visage qui l'éveilla. Elle se mit à penser très fort à lui et elle serra tout aussi fort le diamant dans ses doigts comme si elle avait voulu le réchauffer. Bientôt, une chaleur irradia ses mains et elle vit, progressivement, au-travers du diamant, son ami Cilte-Colibri-Fuego reprendre vie. Toutefois, le froid avait eu raison d'un bout de ses doigts et celui-ci s'était cassé comme du verre.
Quant aux lutins, ils commencèrent à se recroqueviller: la chaleur provenant du diamant faisant petit à petit fondre la glace qu'ils avaient dans le corps et qu'ils crachaient. Et cette glace fondue les étouffa jusqu'à ce qu'ils se liquéfient totalement et ne ressemblent plus qu'à de vulgaires flaques d'eau....

Cili chercha le diamant mais elle ne retrouva pas le moindre petit morceau: elle comprit que, quoi qu'il advienne à Cilte, elle ne pourrait plus avoir recours au pouvoir de la pierre.

Cilte-Colibri-Fuego était arrivé dans un pays de neige et de glace. De la neige à perte de vue, des lacs gelés entourés de stalagmites de glace... Plus il
avançait et plus il avait froid. Plus il avait froid et moins il parvenait à se mouvoir. Il sentait ses membres s'engourdir à tel point que bientôt il resterait figé sur place. Progressivement, il ne put plus faire le moindre mouvement et il tomba, inanimé, sur le sol dur et gelé. Quand il s'éveilla, au coeur d'une maison de neige, il était entouré de visages ronds, au teint mat et aux yeux souriants. Il se redressa lentement et assis sur son séant. Il découvrit bientôt de drôles de petites personnes, emmitouflées dans d'épaisses fourrures. A la vue de Cilte-Colibri-Fuego qui reprenait petit à petit vie, elles entonnèrent des chants et s'adonnèrent à des danses. Les femmes portaient des bijoux d'ivoire et de somptueuses parures. Notre ami s'aperçut seulement à ce moment-là qu'on avait endui sa peau craquelée de graisse.

A Alaskayak (c'était ainsi que se nommait ce pays, Cilte-Colibri-Fuego découvrit la manière dont ce peuple de froid parvenait à survivre grâce à la pêche dans des trous d'eau faits dans la glace, à la chasse dans les grands espaces de solitude. Il apprécia la richesse de leurs récits et eut envie de leur montrer comment fixer la mémoire de leur peuple en faisant appel à l'écriture. En échange Cilte-Colibri-Fuego leur demanda de lui apprendre la route des étoiles afin qu’il puisse s’en retourner chez lui. Ils lui firent un dernier cadeau, il le surnomèrent …. "Anka".


Cilte-Colibri-Fuego- Anka savait maintenant que son périple s'arrêtait là et, bien que les habitants de ce pays lui aient proposé de rester parmi eux, il
décida qu'il reprendrait la route. Cette fois-ci, il retournerait à Makaba : Yakouba lui manquait, il pensait aussi de plus en plus souvent à Cili et le son de
sa voix venait parfois chanter dans son oreille. Cette nuit-là, encore une fois, Cilte-Colibri-Fuego-Anka reprit le chemin du voyage en fredonnant cette chanson:

Je vivais dans mon pays sans connaître tout autre chose
Et puis un jour je partis laissant mes ancêtres dans l'oubli
Je vivais dans un pays sans connaître tout autre chose
Et puis un jour je partis laissant mes ancêtres dans l'oubli

Je franchis des cols, des montagnes et des vallées
Et toujours je continuais, je continuais sans me retourner
Je franchis des cols, des montagnes et des vallées
Et toujours je continuais, je continuais sans me retourner

Cilte-Colibri-Fuego-Anka rapportait de ce voyage tant de choses et de souvenirs : des objets, des vêtements, des plantes, des savoirs. Il était désormais capable de trouver de l’eau comme les sourciers, de se repérer dans le ciel grâce aux étoiles... Il se savait riche de tout ce qu’il avait vu, entendu et appris. Il portait avec fierté ces noms qui feraient de lui un homme différent à tout jamais. Il marchait désormais d'un pas décidé sur ce chemin et avait hâte de retrouver les siens.Quelle drôle d'allure avait-il lorsqu'il se présenta aux portes de son pays: quel accoutrement pour les gens qui n'avaient jamais rien vu de pareil! D'abord, on ne le reconnut pas et ce fut Cili qui vint à lui lorsqu'elle entendit leur chanson, celle des amis.

Sur l'air de "A la volette"
Mon amie Cili chante comme un pinson
Et mon ami Cilte répond en canon
L'amitié, sur cette terre
Est un pont, une lumière
Un précieux trésor

Après ce premier moment de surprise et d'étonnement, on passa des jours et des nuits à écouter ses récits. Il n'y avait pas que les plus petits à lui demander de les raconter encore et encore.

Progressivement, Cilte-Colibri-Fuego-Anka chassa la peur des regards, la crainte de l'inconnu et leur donna confiance en la vie. Il ne fut désormais plus rare de voir des jeunes gens, filles et garçons, partir sur les traces invisibles qu'il avait faites en son temps sur le chemin, au-delà des précipices et des montagnes escarpées. Nombreux furent ceux qui revinrent de ces voyages nourris de connaissances nouvelles qu'ils firent partager à leur peuple. Certains aussi partirent et s'installèrent au-delà des Makaba: ils fondèrent famille et n'oublièrent jamais de conter l'histoire de leur peuple à leurs enfants.
Quant à Cilte-Colibri-Fuego-Anka, il demeura toute sa vie attachée à sa terre, auprès de sa bien-aimée, Cili, dont il voyait souvent de regard briller, comme le diamant que son grand-père lui avait jadis offert. Et comme l'histoire le dit: ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants.