A la recherche des Trois Allumettes Magiques


Le Grand Royaume d'Or s'était paré de tous ses brillants lors de la naissance de la petite princesse Stéphanie. On avait tout mis en oeuvre pour qu'il soit le plus accueillant possible afin que les invités conviés à la grande fête qui s'annonçait soient satisfaits. Jamais on ne l'avait vu autant scintiller de diamants et de pierreries.
Seulement voilà : on avait oublié de prévenir une des fées du royaume qui était plutôt une sorcière. Tout le monde la craignait et l'évitait tant on redoutait la fulgurance de sa magie. Elle avait pour nom « Fauve » parce qu'elle marchait à quatre pattes sur des jambes de cheval, avait des yeux de faucon et une bouche de chat surmontée d'une verrue. De sa bouche sortait une dent de vampire. A chaque sort qu'elle lançait, son corps se métamorphosait. Queue de rat, oreilles d'ours, poils frisés... conféraient à Fauve un aspect effrayant et singulier. Par dépit et pour punir les monarques, elle avait jeté un sort à la princesse en disant que désormais elle serait muette et qu'elle ne retrouverait la parole que lorsque seraient réunies les Trois Allumettes Magiques dispersées au quatre coins de la terre sur les différents continents. Personne n'avait rien pu faire : Fauve s'était littéralement évaporée et son ricanement avait retenti encore longtemps après. Chacun(e) était horrifié(e) par ce qui s'était produit.


Et le temps passa. La princesse grandit en beauté et en grâce. Elle avait des yeux noisette, une longue chevelure brune bouclée dans laquelle elle piquait des fleurs des prés. Sa gentillesse, sa prévenance la faisaient aimer de tous. Toutefois, elle devenait de plus en plus triste parce qu'elle ne pouvait parler avec personne. Un jour, elle découvrit la saveur des gâteaux. Elle en apprécia le goût. Chaque fois qu'elle en mangeait un, elle se sentait mieux. Inévitablement, elle se mit à en manger de plus en plus et elle grossit, grossit, tant et si bien qu'on finit par l'appeler « La Princesse Bouboule ».

Quinze ans s'étaient écoulés depuis la naissance de Stéphanie. Le roi et la reine devenaient chagrin; la Princesse d'ailleurs aussi, parce qu'elle commençait à ressentir les effets néfastes de ses abus de sucreries. Partir pour chercher les Allumettes devenait impératif. Oui, mais qui irait et comment s'y prendre? Telles étaient les questions qui se posaient. Personne ne se présenta au palais pour risquer l'aventure. Malgré les tentatives de ses parents de la retenir, Stéphanie se décida à y aller elle-même. Rien ne pourrait l'empêcher de mener à bout son entreprise. Elle se fit construire un bateau, se rendit au bord de la mer et prit le large.

Le voyage se déroula sans encombre. Mais il fut long. Tellement long que lorsqu'elle aperçut enfin une terre, elle oublia d'être prudente. En s'approchant trop vite du rivage, elle ne vit pas les rochers qui affleuraient à la surface des flots. Son embarcation se brisa et elle-même fut propulsée sur la terre. Elle perdit connaissance. Lorsqu'elle se réveilla, elle se trouvait dans une cage faite de bambous avec un toit en feuilles de palmier. Autour d'elle, il n'y avait que du sable et plus loin commençait une forêt. Où était-elle? Elle n'en avait pas la moindre idée... Elle avait faim mais plus aucun gâteau et ce n'était certainement pas là qu'elle allait en trouver! Sa robe était déchirée. Il fallait à tout prix qu'elle s'échappe. Tandis qu'elle étudiait la manière dont elle allait s'y prendre, elle découvrit que le sol de sa cage était encombré d'objets. Parmi eux : une Allumette, une petite allumette marron, qu'elle aurait pu aisément confondre avec la terre.

L'espoir lui revint : ce devait être une de celles qu'elle cherchait! Soudain, un mouvement imperceptible attira le regard de Stéphanie vers la forêt. Dans un arbre, une petite fille à la peau mate et très maigre, vêtue de feuilles, l'observait. Elle se confondait parfaitement avec la végétation. Elle sauta de son perchoir et s'approcha avec mille précautions de la cage. "Chut!" fit-elle, en mettant son doigt sur sa bouche. Elle saisit une branche solide et cassa les barreaux. Stéphanie était libre! Pas pour longtemps... Déjà, on entendait les ravisseurs revenir de la chasse : un groupe vêtu de peaux d'hommes s'avança. Ils étaient grands, gros, laids, avec un nez plat. « Mangemordors! » dit la fille de la forêt en les désignant. Vite! Il fallait fuir ces redoutables chasseurs d'animaux et d'enfants! Stéphanie s'empara de l'Allumette, mit le feu aux broussailles et les deux filles détalèrent à toutes jambes. Elles s'enfuirent dans la forêt. Les branches des arbres leur fouettaient le visage, les racines retenaient leurs pas. Elles tombaient, se relevaient... avaient les mains et les pieds en sang, toussaient en raison des émanations de fumée. Quand Stéphanie vit le serpent, là, au milieu de leur chemin, elle ne put réprimer un cri. C'était le premier son qu'elle prononçait depuis le sort jeté par Fauve! L'Allumette avait donc bien un pouvoir. Entre temps, les Mangemordors, qui s'étaient aperçus que la cage était vide, prirent inévitablement leur direction, malgré tout ralentis quelque temps par l'incendie. Stéphanie et La Petite Fille de la Forêt avaient obliqué vers la mer. Mais comment fuir puisque le bateau de la princesse s'était brisé sur les récifs? La Fille des Bois poussa un long cri et la Princesse Bouboule aperçut des dauphins qui s'approchaient. Elles eurent juste le temps de sauter sur leurs dos. Les Mangemordors arrivaient sur la plage. Elles plongèrent dans les vagues et disparurent à leur regard.

Lorsqu'elles furent bien au large, Stéphanie tenta d'expliquer son histoire en s'aidant de gestes et en montrant l'Allumette. La Fille de la Forêt lui dit que les Dauphins percevaient des choses infimes et qu'ils seraient capables de la conduire vers le continent de la deuxième Allumette. Quant à elle, elle allait retourner dans son village aborigène et elle souhaitait bonne chance à sa nouvelle amie qui la quittait. Stéphanie continua seule son voyage. Elle avait glissé l'Allumette dans un petit sachet qu'elle portait autour de son cou pour mieux s'agripper au dos du dauphin. Le voyage se déroula sans encombre. Mais il fut long.

Enfin, elle aperçut une nouvelle côte. Elle approchait de l'Afrique, plus exactement d'Egypte, le pays des impressionnantes pyramides. C'était sûrement là qu'elle devait se rendre! Elle attendit un peu à l'écart du lieu, le temps que les visiteurs qui affluaient se dispersent puis, lorsqu'elle fut seule, elle s'approcha du Sphinx, statue de pierre immobile. 

C'est alors qu'il ouvrit sa gueule et lui posa une énigme. Si elle arrivait à y répondre, il l'aiderait. Sinon, il pourrait bien l'écraser avec une de ses solides pattes! Stéphanie se concentra et écouta : « Quel est l'être vivant qui marche à quatre pattes le matin, sur deux pattes le midi et sur trois pattes le soir? » Stéphanie, qui avait beaucoup lu, connaissait la réponse qu'elle avait découverte dans un livre. Elle mima les différentes phases de l'énigme et elle écrivit sur le sable le mot : Homme. L'homme marche à quatre pattes lorsqu'il est enfant, sur ses deux pieds quand il est

plus grand et avec une canne lorsqu'il est vieux.

Le Sphinx se mit alors en mouvement : il souleva son énorme patte de pierre, laissant apparaître, dans l'empreinte, une Allumette, jaune cette fois-ci, comme le sable du désert, comme le soleil de ce pays. La deuxième! Stéphanie saisit l'Allumette et la brûla. Elle réussit cette fois à prononcer une courte phrase : « Je cherche la troisième Allumette. » Le Sphinx se coucha à ses pieds et l'invita à monter sur son dos. Il se redressa. C'était fulgurant : les cheveux de Stéphanie se soulevèrent. Elle avait l'impression de toucher le ciel. Le vent soufflait et sifflait à ses oreilles. Le Sphinx faisait d'immenses enjambées. Sans qu'elle ait véritablement le temps de s'en rendre compte et sans qu'elle se soit mouillé les pieds, ils avaient traversé la mer... en seulement quelques instants.

Devant elle : une forêt extrêmement dense, luxuriante, aux arbres enchevêtrés : la forêt amazonienne! Son instinct lui disait qu'elle devait se rendre au pays des Incas, certainement. Elle grimpa en haut d'un arbre et aperçut le Machu Pichu et des cohortes de gens qui s'en approchaient. Quand elle se retourna, elle vit le Sphinx disparaître à l'horizon. Le Machu Pichu était célèbre, autant que les pyramides, autant que le Sphinx, donc, selon elle, elle trouverait forcément la troisième Allumette là-haut. Elle se mit immédiatement en route. Elle marcha, marcha et arriva au coucher du soleil au pied de la montagne. Il y avait de nombreuses pancartes en différentes langues. L'une d'entre elles était écrite en français et elle parlait d'une légende selon laquelle une Allumette Magique, enfermée dans une statuette incassable, pourrait redonner la voix à une princesse. C'était son histoire, son destin! Elle commença à monter les très nombreuses marches qui conduisaient au sommet. Elle était maintenant seule, pèlerins et touristes ayant quitté les lieux. Elle devait en profiter pour trouver ce qu'elle était venue chercher! Le jour se levait à peine quand elle toucha à son but. Les premiers rayons du soleil éclairèrent la statuette. Stéphanie se précipita, s'en empara et s'acharna à essayer de la briser, oubliant que ce qui est incassable ne peut pas être détruit... Quelqu'un observait la Princesse depuis un moment : un singe, seul habitant de l'endroit lorsque la nature reprenait ses droits. Il pencha la tête de droite, de gauche puis il courut vers la statuette, la saisit et la fit tourner entre ses doigts. Il sentit le mouvement imperceptible d'un petit mécanisme et appuya dessus. Aussitôt, la statuette s'ouvrit. A l'intérieur : une Allumette vert foncé, à l'image de la forêt qui s'étendait sous leurs pieds. Le singe la tendit à Stéphanie. Elle tremblait de tout son corps. Déjà, on entendait les visiteurs gravir les marches. Il fallait faire vite! La Princesse craqua l'Allumette sur une pierre, une flamme jaillit. Le sol se mit à vaciller. Il s'ouvrit. Bouboule bascula dans une brèche profonde. Elle tomba, tomba, longtemps, très longtemps. Quand elle sentit de nouveau le sol sous ses pieds, elle s'aperçut qu'elle était de retour... dans son pays.

Il y eut de grandes et belles réjouissances pendant des jours et des jours. La Princesse raconta encore et encore à qui voulait l'entendre son histoire, les péripéties qu'elle avait traversées, les rencontres qu'elle avait faites, les pays qu'elle avait découverts... Plus tard, elle se maria avec l'élu de son coeur et elle eut une fille qu'elle baptisa Aurore. Elle invita toute la ville sauf... vous le devinerez aisément... Fauve...

L'histoire, alors, me direz-vous, ne risque-t-elle pas de recommencer? C'est à vous de juger!