Les deux bossus et les korrigans (conte breton)


Personnage créé par des élèves du lycée professionnel Prévert à Fontaine (38)



Il était une fois un tailleur : il se nommait Kaour. Malgré l'infirmité dont il était affublé (il était bossu), c'était un garçon joyeux et aimable avec tous. On l'entendait souvent chanter en tirant sur le fil de son aiguille.
Un jour, on vint lui faire commande d'un vêtement à confectionner pour la petite Marie (dont Kaour était secrètement amoureux). Il dût donc se rendre chez elle. Toute la journée et sans relâche, il travailla. Le soir venu, il resta un peu tard et dût reprendre le chemin du village en passant par la lande. La lune était haute et pleine... Malgré tous ses efforts pour marcher sans faire de bruit, pour ne pas se faire remarquer, il fût bientôt entouré du petit peuple des pierres : les Korrigans à l'ouïe fine l'entraînèrent aussitôt dans une danse qui, il le savait, risquait fort de durer toute la nuit... Et pas question de refuser de s'y soumettre, au risque d'attirer le mécontentement des lutins!
"DILUN DIMEURZ DIMERC'HER , lundi mardi mercredi, DILUN DIMEURZ DIMERC'HER , lundi mardi mercredi..."
Kaour commençait à être fatigué : fatigué de danser, mais aussi fatigué de répéter toujours la même chose. Il s'enhardit et proposa aux Korrigans d'ajouter d'autres paroles à la chanson : "DIRIAOU HA DIGWENER,  jeudi et puis vendredi!" Les lutins s'enthousiasmèrent : ils aimaient la rime, autant en breton qu'en français et ils reprirent à coeur joie : "DILUN DIMEURZ DIMERC'HER , lundi mardi mercredi, DIRIAOU HA DIGWENER,  jeudi et puis vendredi..."
Kaour se sentait fourbu mais il n'osait interrompre la danse. C'est alors que le Roi des Korrigans arrêta le cercle et s'adressa à lui en ces termes : "Nous voudrions te remercier pour les paroles que tu nous a données. Que choisis-tu : qu'on t'enlève ta bosse, ou qu'on t'offre un sac de pièces d'or?" Kaour n'hésita pas : il préférait l'amour de Marie qui accepterait peut-être de l'épouser, plutôt que la fortune. Le petit peuple l'entoura, le saisit pour l'envoyer voler en l'air : une fois, deux fois, trois fois! Quand il retomba sur ses pieds , le tailleur n'avait plus de bosse! Il s'aperçut au même moment que le jour se levait sur la lande et que les Korrigans avaient disparu.
Kaour rejoignit son atelier et malgré sa nuit éprouvante, ne sentant plus la fatigue, il se mit aussitôt à l'ouvrage. Il chantait tellement fort que le tailleur qui travaillait de l'autre côté de la rue l'entendit. Ce dernier s'appelait Laouig, était bossu comme l'avait été Kaour mais ne présentait pas le même caractère : il ne riait jamais, ne fréquentait personne et ne vouait aucune amitié à son prochain. Cependant, il était curieux et en regardant par sa fenêtre il aperçut son concurrent, courbé sur son ouvrage mais qui semblait moins bossu que d'habitude. Il voulut en avoir le coeur net, quitta son logis et se rendit chez Kaour qui lui raconta avec force gestes et enthousiasme son extraordinaire aventure de la nuit.
Laouig écouta avec attention et une idée germa dans son esprit : il irait le soir-même sur la lande à la rencontre des Korrigans, chanterait et danserait avec eux et obtiendrait comme récompense l'argent que Kaour avait dédaigné! La nuit venue, il mit son plan à exécution. Il n'eut évidemment aucune peine à les rencontrer sur la lande, et il entra dans la danse : "DILUN DIMEURZ DIMERC'HER , lundi mardi mercredi, DIRIAOU HA DIGWENER,  jeudi et puis vendredi..." Très vite, il suggéra une suite à la chanson, puisqu'il y avait d'autres jours pour clore la semaine : "HA DISADORN HA DISUL, samedi et puis dimanche!" Ca ne rimait pas mais bon, ça pouvait se danser et les Korrigans reprirent la proposition en choeur : "DILUN DIMEURZ DIMERC'HER , lundi mardi mercredi, DIRIAOU HA DIGWENER,  jeudi et puis vendredi, HA DISADORN HA DISUL, samedi et puis dimanche!"
La danse dura longtemps et comme pour Kaour, le Roi des Korrigans l'interrompit et proposa à Laouig de choisir un présent.  "Que veux-tu?" lui demanda-t-il. Et avant qu'il ait ajouté autre chose, Laouig répondit : " Je veux ce que Kaour a laissé". Les Korrigans firent selon son désir et ils le firent sauter une fois, deux fois, trois fois... Quand le tailleur retomba, il se sentit plus lourd : il avait maintenant une bosse devant, et une bosse derrière... et les lutins avaient disparu corps et âme.
Tandis que Laouig rentrait chez lui en rasant les murs, Kaour prenait ce matin-là le chemin de la maison de Marie, pour demande sa main. On dit qu'elle accepta avec empressement et que la noce fût belle!

J'y étais : j'ai bu du Chouchen mais il a coulé sur mes lèvres et n'est pas entré dans ma bouche...